Dunnotar, 1594.
Les années sont passées, mais je n'ai rien oublié de cette période. A l'époque, l'Angleterre était au sortir de la Guerre des deux roses, et parmi les mortels, les Tudors avaient été écartés du pouvoir au profit de la reine Elizabeth. Au sein de la société vampirique, les choses n'avaient pas été plus calmes : Ieldra, la Reine Sorcière en place depuis trois siècles, avait résisté aux percées européennes de l'Invictus, et dirigeait l'Angleterre d'alors. Le Weilhan Cynn, un ordre mystique de Kindreds célébrés comme des divinités dans les temps anciens, maintenait l'équilibre entre les forces occultes du pays : vampires, mages, lupins, fantômes...
Londres. Vous n'imaginez pas la promiscuité qu'on y trouvait. Moi qui n'aime pas ces grandes villes sans âme, j'étais servi : odeur de crasse, bruit infernal, des maisons bondés, des maladies qui se répandaient aussi vite que l'air fétide des caniveaux. Les pauvres crevaient dans la crasse des riches, et seuls les incendies et les pestes apportaient un peu de place dans les quartiers où s'entassaient les mortels.
En ces temps, les vampires s'impliquaient fortement dans la politique des mortels, et le pays était déchiré entre protestants et catholiques, entre fidèles d'Elizabeth d'Angleterre et de Marie Stuart d'Ecosse. Ieldra avait ramené le calme dans les forces vampiriques depuis dix ans, après une purge méthodique de ses opposants, et j'avais été engagé pour m'occuper d'un des derniers félons au pouvoir londonien.
A l'époque, je travaillais au sein de la Poste des Potences, protégeant les Damnés lors de leurs grands voyages dans les terres froides de l'arrière pays. Froides et inamicales, car à l'époque, l'Angleterre n'était pas une terre accueillante pour les vampires, et nous avions tôt fait de tomber sur quelques lupins hargneux. Et cette année là, la famille Pryce, de puissantsDaeva lié au pouvoir politique des mortels et fidèles soutiens des reines Ieldra et Elizabeth, m'avait engagé pour mener à travers les brumes d'Angleterre un des leurs, William Pryce Percy, à Dunnottar, loin en Ecosse, pour y contraindre le Baron Bryton, l'un des félons rescapés.
J'ai donc conduit le jeune William Pryce, joli minois de l'Invictus, à travers la lande pendant des jours, accompagné de mortels au service de sa famille, et d'une goule servant de cocher à notre coche de voyage, du nom d'Alexius. Au terme d'un long périple, affâmés, nous avons fait halte dans un hameau de pêche à quelques lieues de Dunnottar, un paisible village du nom de Stonehive, pour nous nourrir.
Pendant que je m'occupais de quelques bêtes bien suffisante pour contenir ma soif, Pryce se glissa dans le village et fit d'une vieille bique malingre son calice. Il me rapporta après cette visite avoir noté la présence de deux grands navires, bien différents des bateaux de pêche qui mouillaient dans le port, et de croix blanches tracées fraichement à la peinture sur les portes de nombreuses maisons du village. Visiblement, le lieu était visité par des Damnés peu discrets qui s'étaient attirés l'inquiétude des villageois. Surprenant, d'autant que la vieille choisie par Pryce avait visiblement l'habitude d'être ponctionnée par un Kindred. De nouveaux chasseurs sur le terrain de chasse d'un local ?
Cela ne nous regardait pas : nous étions là pour faire signer un contrat de sang au Baron Bryton, ses problèmes n'étaient pas les nôtres. Nous avons poursuivi jusqu'au château de Dunnottar, une imposante citadelle perchée sur un promontoirerocheux, en bord de falaise. Le bastion, formé d'une dizaine de bâtiments, d'un large donjon et d'une chapelle, ressemblait à une forteresse imprenable et sa position stratégique devait être forte utile en temps de guerre. Après avoir envoyé un corbeau en repérage, j'ai conduit Pryce jusqu'aux portes, précédé d'un de nos suivants prénommé Brice.
L'accueil fut glacial, mais nous n'étions pas en terres amicales. Des gardes à moitié abrutis par la puissance de leur maître vampirique nous conduisirent dans les couloirs de pierre de la citadelle. Loin du donjon dans lequel devaient vivre les seigneurs mortels de Dunnottar, ils nous emmenèrent vers la chapelle et sa crypte. C'est dans une salle souterraine en arcades, accueillant une grande table et les reliefs d'un festin récent, que nous attendait le Baron Bryton. Assis sur un large trône, dans une posture fermée et revêtu d'une robe de pénitence trop ostensible pour être protestante, il nous adressa un regard haineux. Son teint était livide, ses veines visibles et noircies, et ses cheveux, tirés en une unique tresse, lui donnaient l'air d'une poupée de cire.
Pendant que le jeune Pryce prenait la parole, lui expliquant que dans l'intérêt de Dunnottar et des siens, Bryton devait se soumettre aux Pryce et à la Reine Ieyldra, je m'intéressais au décor. Pas de mortels dans les alentours, mais une forte odeur de sang restait présente. Non loin, sur un pilier, des traces de sang frais m'inspirèrent une vision fugace, celle d'un vampire puissant ouvrant les entrailles d'une mortelle. Le Baron Bryton s'amusa à faire croire à William Pryce qu'il cédait à la menace, mais il finit par appeler un nouveau venu à nous rejoindre : un vampire espagnol (et fervent catholique) du nom de Vasquez di Ayllon. L'homme aux vêtements bariolés et amples, au bouc finement taillé, survint d'une porte à l'arrière de Bryton, et avança en libérant une aura de domination. Je reconnus sa puissance et m'inclinais tel un loup devant le mâle dominant, William faisant de même, et Vasquez, satisfait de sa puissance, s'assis à la place du Baron de Dunnottarsur le large trône. L'espagnol était accompagné d'un homme portant une grande redingote élimée et à la barbe fournie, portant des gants marqués de l'insigne de la Poste des Potences. Visiblement son guide.
Vasquez afficha son mépris envers les intentions de William Pryce et affirma que Dunottar était à lui désormais, ce queBryton confirma avec déférence. Désintéressé par ces bras de fer politiques, j'emboitais le pas du guide lorsqu'il quitta la crypte pour rejoindre la porte arrière. Après tout, deux Damnés de la Poste des Potences peuvent faire connaissance...
Me voyant arriver dans son dos, l'intéressé sourit. Il se présenta comme Sire Wilford Cardigan, originaire de Douvres et surtout propriétaire des deux navires amarrés à Stonehive, mais ce qui m'intéressait d'avantage, c'était le spectacle derrière lui. Dans la pièce attenante à la crypte où il se trouvait, une table accueillait le corps éviscéré d'une femme, dont on s'était servi pour quelque rituel de divination. Des calices de sang étaient déposés en cercle autour d'elle. Je reliais ce spectacle à la vision fugace qui m'avait saisi quelques instants plus tôt. Une magie malsaine régnait ici, et la Bête en moi était prête à bondir tant mon instinct me signifiait le danger que ces Damnés représentaient.
Vasquez finit par chasser William Pryce (et moi-même) de la crypte, rejetant toute discussion. Il appela à lui un certainFransesco et des ombres de l'escalier d'entrée jaillit un vampire qui devait nous observer depuis notre arrivée. Le Damné, espagnol également, à la barbe poivre et sel, obéit à son maître en nous reconduisant à l'extérieur. Mais de retour dans la cour intérieure de Dunnottar, je suggérais à Pryce d'espionner les échanges entre les vampires pour déterminer les raisons de cette incursion catholique en Ecosse. Le Daeva acquisça et queques instants plus tard, sous la forme d'un rat, je retournais dans la crypte.
~ Osborn
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